Réflexions sur le statut juridique du chat haret Chapitre VI
VI. Contamination du Droit cynégétique par la législation fédérale
“Il y a lieu de faire jouer la théorie de l’état de nécessité lorsqu’une personne a porté délibérément atteinte à un intérêt protégé afin de préserver un intérêt supérieur d’un péril qui le menaçait d’une manière imminente qu’il n’était pas possible d’écarter autrement “
1.Théorie de l’état de nécessité
« Il y a lieu de faire jouer la théorie de l’état de nécessité lorsqu’une personne a porté délibérément atteinte à un intérêt protégé afin de préserver un intérêt supérieur d’un péril qui le menaçait d’une manière imminente qu’il n’était pas possible d’écarter autrement »(1).
Il faut donc diverses conditions : le péril imminent, la réaction adaptée et une proportion favorable entre l’intérêt sacrifié et l’intérêt sauvegardé.
Si malgré des mesures d’effarouchement ou des mesures raisonnables de protection (exemple : clôtures électriques), un élevage de volaille ou un centre de revalidation d’espèces sauvages protégées était menacé par le comportement d’un chat domestique ou d’un haret, l’état de nécessité serait invocable, à défaut de pouvoir mettre en fuite l’animal, si on le blesse ou le tue, alors qu’il allait porter atteinte ou qu’il était en train de porter atteinte à des espèces rares. La discussion est un peu plus tendue, lorsqu’il y a simple atteinte à la propriété (exemple : volailles). Toutefois, il faut bien voir que le premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme consacre le droit de propriété comme une valeur importante au niveau des Etats signataires. Dans ce cadre, le Droit interne doit donner une possibilité au propriétaire de protéger sa propriété contre une menace extérieure de façon proportionnée, sauf à prévoir un système d’indemnisation lorsque des dégâts sont causés par des espèces protégées. Ne pas l’admettre serait contraire à la Convention européenne des
droits de l’Homme.
L’état de nécessité constituant un des éléments du socle du Droit pénal de la pure compétence d’un Etat fédéral, les Régions, sauf à recourir à la délicate théorie des pouvoirs implicites, ne peuvent y déroger. On constate pourtant que l’article 22 du décret flamand sur la chasse modalise le droit de légitime défense du propriétaire qui est susceptible d’un dommage important à sa propriété du fait d’un gibier. A priori, il ne peut que repousser ce gibier, quitte, s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, à demander une autorisation de destruction ou de capture.
Cette intervention du pouvoir régional ne peut toutefois porter atteinte aux principes généraux de Droit pénal. Dès lors, il convient de considérer que si la théorie de l’état de nécessité est applicable, c’est-à-dire si le dommage est imminent et que le fait de repousser l’animal n’est pas efficient, l’utilisation d’une arme à feu, par exemple, s’avérerait possible. Cette théorie coexiste donc avec l’article 22 du décret.
Il convient toutefois d’examiner si le législateur fédéral, compétent pour modifier les principes de Droit pénal, ne l’a pas fait dans le cadre de lois fédérales(2).
2. La loi du 14 août 1986
Même si les concepts de force majeure et d’état de nécessité ne sont pas identiques en Droit, ils sont relativement proches et le fait pour le législateur, dans la loi du 19 mars 2007 modifiant la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux, de prévoir, à l’article 1er, que nul ne peut se livrer, sauf pour des raisons de force majeure, à des actes non visés par la présente loi, ne fait que rappeler l’existence de principes de Droit pénal sous-jacents.
Dans le respect du principe de proportionnalité, le législateur fédéral ne peut par contre pas intervenir dans le domaine des compétences régionalisées, telle la chasse, de façon à rendre exagérément complexe l’exercice des compétences régionales.
En se bornant de façon marginale à prévoir que la mise à mort sans anesthésie ou étourdissement d’un vertébré, tolérée dans le cadre de la pratique de la chasse, peut seulement être pratiquée par la méthode la plus sélective, la plus rapide et la moins douloureuse pour l’animal, le législateur fédéral va le plus loin qu’il le peut dans l’exercice des compétences fédérales sans empiéter sur les compétences régionales(3).
En France, l’article 453 du Code pénal ne réprime les actes de cruauté envers un animal que s’il est domestique, apprivoisé ou tenu en captivité. Toutefois, dans une affaire où un chasseur avait blessé un chat se trouvant à plus de 250 mètres d’une habitation, et donc présumé comme haret, puis avait essayé de l’écraser sous sa botte et l’avait enfin achevé au couteau, la Cour de cassation, dans son arrêt du 28 février 1989, déjà cité, considérait qu’il y avait néanmoins acte de cruauté envers un animal domestique, le chat pouvant être à la fois présumé haret par la législation sur la chasse, mais rester domestique par rapport à la législation sur la protection animale. En tout état de cause, en Droit belge, la situation est différente puisque la loi sur la protection animale s’applique marginalement aux animaux à
l’état sauvage dans le cadre d’activités telles que la chasse.
3.Le Code pénal en ce qu’il protège certains animaux en tant que biens faisant partie d’un patrimoine
La section 6, du chapitre III, du Code pénal, intitulée Destruction, dégradation, dommage est relative à la destruction des animaux. Il est sous-entendu qu’il s’agit des animaux d’autrui. Le Code pénal protège ici non pas l’animal pour lui-même en tant que valeur spécifique, mais l’animal en tant qu’élément d’un patrimoine qu’il n’est pas possible de laisser endommager par le caprice des tiers, comme d’autres propriétés mobilières.
La loi de 1986, dans son régime répressif, fait d’ailleurs réserve de l’application de dispositions plus strictes du Code pénal.
Suite à l’abrogation de l’article 557 et de l’article 563 (pour partie) du Code pénal, en 2004, le chat ne peut plus être visé par le Code pénal que dans le cadre de l’article 541. Celui-ci punit d’un emprisonnement de 8 jours à 3 mois et d’une amende de 26 à 200 € ou d’une de ces peines seulement celui qui aura causé une lésion grave à un animal dans le lieu dont celui à qui cet animal appartient est propriétaire, usufruitier, usager, locataire, colon ou fermier, et ce, sans nécessité.
Cette hypothèse est marginale, puisque la question qui est souvent débattue en pratique est celle de l’abattage de chats sur terrain d’autrui et non sur le propre terrain de leurs propriétaires.
En vertu des articles 542 et 543 du Code pénal, le minimum de l’amende, soit 26 francs, est doublé si l’infraction a lieu nuitamment, s’il y a eu violation de clôture ou si l’infraction a été commise en haine d’un fonctionnaire public en raison de ses fonctions.
Il résulte de l’abrogation en 2004 de l’article 557 du Code pénal et d’une partie de l’article 563 du même Code que n’est plus prohibé par le Code pénal, le fait de tuer ou de détruire un animal autre que ceux visés à l’article 538 (bêtes de voiture ou de charge, bestiaux à cornes, moutons, chèvres ou porcs) sur son propre terrain.
Il en découle que le chasseur qui, sur son territoire de chasse, tuerait ou blesserait un chat n’est plus passible des sanctions du Code pénal. Si cette destruction ou lésion est causée par balle, dans le cadre de la pratique de la chasse et par une méthode que l’on peut qualifier de sélective, rapide et la moins douloureuse pour l’animal, l’article 15, alinéa 2, de la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux ne serait pas transgressé. Si, par contre, la méthode de mise à mort, sans anesthésie et étourdissement, se faisait par une méthode qui n’est pas la plus sélective, la plus rapide et la moins douloureuse pour l’animal, la peine, en vertu de l’article 36, 6°, de la loi de 1986, serait une amende de 26 à 1.000 €. Ce serait le cas si l’animal était écorché vif ou éviscéré vivant ou encore laissé par malice agonisant, sans être achevé ou tout simplement capturé par un piège à mâchoires.
En vertu des articles 10 et 11 de la Constitution, on ne perçoit pas pourquoi celui qui se livrerait à de tels comportements, dans le cadre de la pratique de la chasse, serait moins sévèrement puni que dans un autre cadre. Rappelons que l’article 35, alinéa 2, de la loi du 14 août 1986, modifié par l’article 3 de la loi du 19 mars 2007, punit d’une amende de 26 à 1.000 € et d’un emprisonnement d’un mois à six mois ou d’une de ces peines seulement celui qui se livre, sauf pour des raisons de force majeure, à des actes non visés par la loi, qui ont pour conséquence de faire périr sans nécessité un animal ou de lui causer sans nécessité des lésions, mutilations, douleurs ou souffrances. Cette éventuelle inconstitutionnalité (reposant sur la violation du principe d’égalité des citoyens devant la loi) n’entraîne toutefois pas que celui qui dans le cadre de la pratique de la chasse se livrerait à de tels actes de cruauté devrait être puni des peines plus lourdes de l’article 35 de la loi du 14 août 1986, mais simplement que cette inconstitutionnalité doit être rectifiée par le législateur. On ne voit pas par ailleurs pourquoi seule la mise à mort, sans anesthésie et/ou étourdissement, est visée par l’article 15, alinéa 2, de la loi du 14 août 1986, dans le cadre de la pratique de la chasse, alors que l’article 1er de la loi, combiné à l’article 35, alinéa 2, de celle-ci, incrimine également le fait de causer sans nécessité des lésions, mutilations, douleurs ou souffrances, même s’il n’y a pas mise à mort.
Notons que l’expression pratique de la chasse est large et vise tant l’acte de chasse que l’acte de destruction d’un gibier.
Ceci nous amène tout naturellement à la question de savoir quelles sanctions frappent un chasseur ou un autre titulaire du droit de destruction prévu par la législation cynégétique (occupant, propriétaire défendant sa propriété de dommages graves ou garde particulier) attentant à la vie d’un chat domestique qui s’avère ne pas être un chat haret.
Rappelons d’abord que le chat haret et le chat domestique constituent une seule et même espèce au sens de la systématique zoologique.
Il en résulte qu’il n’y a, selon nous, aucun doute quant à la question de savoir si l’on se situe bien dans le cadre de la législation sur la chasse. La question serait plus délicate s’il s’agissait d’un acte de chasse à l’égard d’un animal non gibier réintroduit, tel le faisan vénéré, ou à l’égard d’un chien errant, etc…
Ici, tant l’article 1erbis de la loi du 28 février 1882 sur la chasse que l’article 3 du décret flamand sur la chasse du 24 juillet 1991 énoncent que la législation entend par gibier tous les animaux appartenant aux espèces mentionnées dans l’article qui suit. En faisant référence à Felis catus, la législation envisage l’espèce en tant que telle, qu’elle soit dans sa variété éthologique chat haret ou non.
Le tir d’un chat domestique qui n’est pas un haret est donc constitutif d’un tir sur une espèce visée par la législation sur la chasse, mais qui n’est pas ouverte à la chasse. Il en résulte une infraction à l’article 6, alinéa 3, de la loi du 28 février 1882 sur la chasse, en Région wallonne. Elle est passible d’une amende de 200 à 1.000 €. Il en résulte en Région flamande une infraction à l’article 22 du décret du 1991, passible d’une amende de 50 €.
Pour les autres infractions connexes possibles, nous renvoyons à l’examen de la législation cynégétique, détaillée supra.
Liège, le 16 février 2009
Alain LEBRUN,
Avocat spécialisé en Droit
de l’Urbanisme et de l’Environnement
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(1)Précis de Droit pénal général, Jean-Pol Doucet, Faculté de Droit de l’Université de Liège, p. 120.
(2)Nous n’examinerons pas ici la législation relative à la lutte contre la rage qui est d’une portée souvent limitée dans le temps et dans l’espace.
(3)Il ressort clairement des travaux parlementaires que cette loi fédérale « a pour but de protéger l’animal qui se trouve sous la garde de l’homme et d’assurer son bien–être. Son champ d’application est limité aux animaux se trouvant sous la garde de l’homme. Il ne s’agit nullement de chercher à protéger la faune ni à contrôler d’éventuelles incidences de l’action de l’homme sur celle–ci telles que la pollution de l’atmosphère, des eaux, des végétaux, les modifications de l’environnement, la chasse, la protection de la nature… ».