Réflexions sur le statut juridique du chat haret (Chapitre)
I. Définition – Etymologie
Le terme haret, à la fois adjectif et substantif, apparaît dans la langue française en 1690 dans la première édition du Dictionnaire universel d’Antoine Furetière, lequel vise « les chats sauvages qui sont retirés dans les bois et garennes et font un grand dégât de lapins »(1) .
Il provient, comme la plupart des termes cynégétiques, du francique, c’est-à-dire du vieux germain parlé par les tribus franques.
En vieux haut-allemand, le verbe harer signifie crier. En vieux français, le verbe harer signifie exciter les chiens après un gibier. Ces verbes viendraient de l’ancien francique hara signifiant par ici(2) ! En ancien français, on disait aussi crier hare, c’est-à-dire traquer.
Il est à noter que par un glissement linguistique le mot hare est devenu, dans certains cas, halle qui a donné hallali (halle à lui).
Le verbe harer a laissé également dans la langue le mot haro (cri d’appel poussé par la victime d’un flagrant délit, rendant obligatoire la poursuite de son auteur… comme un gibier)(3).
Selon Le Larousse, un haret est un chat domestique qui est retourné à l’état sauvage et vit de gibier.
Il est difficile de déduire de l’étymologie du mot haret si cette expression désigne un chat soumis à la traque ou un chat traqueur lui-même.
Dans le langage cynégétique, on utilise parfois, pour désigner le haret, le mot longue-queue que l’on oppose au terme courte-queue désignant le chat sauvage dont la queue est plus courte que celle du chat domestique(4) .
L’expression juridique néerlandaise verwilderde katten (chats redevenus sauvages) insiste uniquement sur l’ensauvagement de l’animal.
Rappelons qu’il y a plus de mille ans a été importé d’Orient le chat dit domestique (Felis catus), alors que depuis des temps immémoriaux vit dans nos forêts le chat sauvage (Felis silvestris).
[1] On le verra plus loin, cette définition est trop particulière : le régime alimentaire du chat est bien plus varié ; son territoire de chasse aussi : « Autrefois, il avait tué deux ou trois de ces chats harets, qu’on rencontrait dans les champs à l’affût du gibier » (Chéreau, in Grand Larousse de la langue française, en 7 vol., 1971-1978, s.v. haret).
[2] A rapprocher sans doute des mots here ou hier, ici en anglais et en néerlandais.
[3] Une partie de ces explications vient de l’ouvrage de Michèle Lenoble-Pinson, Poil et plume, termes de chasse et langue courante, vènerie, fauconnerie, chasse à tir, Ducullot, 1989, pp. 128-129.
[4] Le langage de la chasse – Gibier, prédateur, Michèle Lenoble-Pinson, publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1977.
II. A partir de quand un chat domestique devient-il un haret ?
Selon l’arrêt de la Cour de cassation belge du 22 janvier 1923 :
« S’ils sont éloignés des habitations après qu’ils ont abandonné leur maître ».
Selon la Cour de cassation française (arrêt du 28 février 1989) , le haret « est celui qui est retourné à l’état sauvage et vit de gibier » (nous soulignons). Dans un arrêt du 13 juin 1864(6) , la Cour de cassation belge déclare que cesse de pouvoir être considéré comme domestique l’animal qui cause, sur les propriétés d’autrui, de fréquents dommages (lire se nourrit fréquemment de gibier). Ce dernier critère, qui rencontre peut-être celui de l’étymologie (voir point I), est en tout cas celui qui a fondé le classement par le législateur Benelux du chat haret parmi les autres gibiers.
Dans le commentaire des articles se trouvant dans l’exposé des motifs commun de l’article 1er de la Convention Benelux en matière de chasse et de protection des oiseaux du 10 juin 1970, on lit ceci : « En outre, une catégorie « autres gibiers » a été prévue. De tout temps, en effet, les lois sur la chasse réglementent la capture de certains animaux qui, sans être habituellement chassés, intéressent cependant la chasse. Ce groupe d’animaux comprend notamment les renards, les putois, les belettes, les chats harets ; certains d’entre eux, comme les renards, sont occasionnellement chassés. En raison de leur mode de vie et de leur nombre, ces animaux sont généralement considérés comme nuisibles et on s’efforce de les détruire tout au long de l’année ».
Le premier critère possible d’identification juridique du chat haret serait donc son régime alimentaire, auquel on peut ajouter un critère temporel : la fréquence des prédations.
Le second critère serait relatif à la perte de son état de domesticité et à l’abandon par le chat de son maître. Ce critère est toutefois incertain :
– Buffon (7) rapporte ceci : « Le chat sauvage produit avec le chat domestique et tous deux ne sont par conséquent qu’une seule et même espèce (8) . Il n’est pas rare de voir des chats mâles et femelles quitter les maisons dans les temps de la chaleur pour aller dans les bois chercher les chats sauvages et revenir ensuite à leur habitation ; c’est par cette raison que quelques-uns de nos chats domestiques ressemblent tout à fait aux chats sauvages » (9).
– « Le chat domestique qui, après ses chasses horribles, retourne douillettement à sa maison, au coin du feu, et s’y prélasse, caressé tendrement, jusqu’au lendemain, où il reprendra ses battues sanguinaires » .
– « Chat domestique (…) Un tel genre de chat peut rester tout le jour au foyer, mais chasse de nuit à grande distance de toute maison. Ces derniers genres de chats – chats harets et chats domestiques – sont en Europe les plus grands destructeurs connus de gibier » (10) .
Dans l’arrêt du 13 juin 1864 précité, la Cour de cassation belge estime d’ailleurs qu’il suffit que « l’animal divague comme à l’état sauvage ».
On comprend donc que le Droit a usé de présomptions, en général réfragables, permettant en pratique d’opérer un distinguo facile.
Tel n’est pas le cas du Droit wallon, même si un critère de deux cent mètres des habitations est néanmoins évoqué dans le Journal des chasseurs et des gardes, revue illustrée de chasse en Belgique, du 15 mai 1929 et si le Droit flamand évoque, dans certaines hypothèses, le critère de 200 mètres.
En France, un arrêté ministériel du 28 mai 1956 assimile au chat haret les chats rencontrés à plus de 250 mètres d’une habitation. Dans l’arrêté de novembre 1949, la distance était de 200 mètres.
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[6] Pas., p. 298
[7] Buffon, cité dans Histoire naturelle des carnivores de France – Une anthologie, Jean Meloche, éd. Méloé, p. 225.
[8] Quelle que soit l’erreur que commet Buffon au niveau de la systématique de ces deux espèces (chat sauvage et chat haret), encore faut-il noter que l’éthologie qu’il donne est sans doute exacte et que des hybrides ont été observés. Cela ne signifie pas pour autant qu’il s’agit d’une même espèce, mais d’espèces assez proches génétiquement pour pouvoir donner des hybrides F.silvestris et F. catus et des hybrides de deuxième génération. « catus » est un chat d’origine Felis silvestris lybica, le chat d’Afrique et du Moyen-Orient. F. silvestris silvestris est plus au nord : Moyent-Orient et Europe. Les lignées sont apparemment mélangées au Moyen-Orient avec aussi F. silvestris ornata..
[9] P. Vialar, La chasse. Ce que l’on chasse, Paris, Flammarion, 1973, vol 2, pp. 390 et 394.
[10] P.-L. Duchartre. Dictionnaire de la chasse, analogique, historique et contemporain, Paris, Le Chêne, 1973.
III. La position du monde de la chasse
Quelques citations valent mieux qu’un grand discours :
– « Un garde prétend que le renard est le plus dangereux des mordants ; un autre nous dit que c’est le putois ; un chasseur, très compétent, cite, en premier lieu, le chat domestique vivant au bois, un autre la fouine et dernièrement un de mes amis voulait me démontrer que c’est la pie » (Journal des chasseurs et des gardes, revue illustrée de chasse en Belgique, avril 1910, p. 366).
– Dans le même journal, en août 1910, on peut lire au nombre de mordants qu’un garde de Trancrémont a pris ou détruits en 22 années de service : « Renards 98 ; chats 332 ; putois 309 ; éperviers 239 ; belettes, hermines 125 ; fouines 61 ; blaireaux 11, martre 1 » ;
– La même revue, en date du 31 août 1928, cite Monsieur Mercier qui énumère : « Les victimes du chat errant qui est un grand destructeur de gibier : plus loin, c’est un lapereau, pauvre petit « rabouillot » à peine sorti du terrier maternel ; plus loin encore, un levraut, un perdreau, un faisandeau. Le bandit ne respecte rien » ;
– « Le chat sauvage et le chat haret se nourrissent principalement de proies vivantes ; (…) Tout le gibier est menacé par eux : faisans, perdreaux, bécasses, ramiers, grives, merles, canards, cailles, lièvres, lapins, écureuils, etc. (…) Toutes les couveuses à terre ou branchées sont en danger. Il tue à l’affût (branché parfois) soit à l’approche au bond. Il saute alors sur le dos des animaux et leur casse la colonne vertébrale. Si la proie a été manquée, il ne la poursuit que rarement (…). Les chats peuvent être considérés comme des nuisibles permanents. Ils s’acharnent sur les couvées et nichées qu’ils affûtent et enlèvent jusqu’à l’extinction totale de l’effectif » .
– « Grands destructeurs de petits gibiers et de toutes les espèces d’oiseaux, il convient de les détruire dès qu’on s’aperçoit de leur présence. Pour cela, les gardes attirent les mâles en utilisant la matrice d’une chatte domestique morte récemment » .
– En novembre 1970, dans la revue Chasse et pêche, peut-on lire sur la plume de B. Pringiers : « Les véritables nuisibles de nos territoires de chasse sont à mon sens avant tout les becs droits (…), les chiens errants et les chats harets ».
– « Selon la S.P.A. (1972), environ 200.000 chats sont abandonnés chaque année, et beaucoup en pleine campagne, par des automobilistes. Ces chats sont donc destinés à devenir chats harets. La chasse internationale les range parmi les plus nuisibles d’entre les nuisibles » (13 ,14).
Cette vision du chat haret par le monde de la chasse n’a guère évolué, puisque dans le livre de référence La chasse en Belgique de J. Swartenbroekx (Duculot 1983), on peut lire :
« Par la force des choses, ces animaux sont obligés de se nourrir exclusivement de tout ce qui court et vole dans les terrains de chasse. Il est logique qu’ils prennent aussi quelques souris, mais ils font principalement la chasse au petit gibier. Ils y mettent une patience infinie et n’hésitent pas à s’emparer d’un lièvre adulte ou d’un vieux faisan. Les faisandeaux et les pouillards, de même que les jeunes canetons, malgré les protestations véhémentes des mères, tombent l’un après l’autre sous leurs dents. C’est surtout lorsque ces chats harets ont des petits, qu’ils rapportent un nombre incalculable de proies dans leur repaire, en nombre si grand qu’il y a bien des restes auxquels les jeunes ne touchent même pas. On ne pourrait suffisamment insister sur la nécessité de détruire ces chats domestiques retournés à l’état sauvage, pendant toute l’année et cela avec tous les moyens permis. Il vaut mieux avoir une dizaine d’hermines ou de putois sur un terrain de chasse qu’un seul de ces chats harets.
Une nouvelle plaie qui sévit ces dernières années, c’est ce que l’on appelle le « catdropping ». Beaucoup de citadins partant en vacances pour un certain temps, ne trouvent rien de mieux que de lancer leur chat par la portière de la voiture, quelque part sur la route. Le plus souvent, ces animaux finissent par échouer dans les bois, où après quelque temps, ils deviennent des maîtres dans l’art de détruire » (p. 208).
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(11) A. Chaigneau, Les animaux dits nuisibles à la chasse, Paris, La Maison rustique, 1967, pp. 60-61.
(12) E. Lejeune, Le guide Marabout de la chasse, Verviers, Gérard, et Cie, 1968, coll. Marabout Service, n° 91,
(13) P.-L. Duchartre, Dictionnaire de la chasse, analogique, historique et contemporain, Paris, Le Chêne, 1973, s.v. haret (chat).
(14) Les citations qui précèdent sont reprises dans l’excellente compilation émanant de Michèle Lenoble-Pinson, Le langage de la chasse, op. cit. et d’une recherche spécifique réalisée par elle à notre demande en novembre 2007. Qu’elle en soit vivement remerciée ici !