De l’obligation d’utiliser une quantité minimale de bois dans certaines constructions comme remède partiel aux changements climatiques

Le Protocole de Kyoto et les suivants ne tiennent pas compte de ce qu’un arbre coupé peut être stocké pour partie. On peut estimer pourtant que si 45% du volume coupé se décomposent ou sont brûlés comme bois de chauffage, 55 % sont stockés comme bois d’œuvre pur ou sous forme de panneaux OSB et autres.

Une telle obligation d’utilisation devrait toutefois reposer sur des études approfondies, car une pression économique accrue sur nos forêts peut engendrer des déséquilibres écologiques, eux-mêmes créateurs de CO2 : n’oublions pas que chaque arbre en bonne santé capte une grosse quantité de CO2 , et protège le sol qui contient du CO2 en plus grandes quantités encore. On séquestrera certes une certaine quantité de CO2 dans les maisons nouvellement construites, mais on se privera en même temps d’une partie des frondaisons permettant une séquestration naturelle. Tout est donc question d’équilibre.

Dès 2001, un accord-cadre Bois-Construction-Environnement avait réuni l’Etat français et les principales organisations professionnelles ; il constatait que le bois était un matériau renouvelable et qu’en « stockant du carbone, il joue un rôle important de régulateur des taux de gaz carbonique (CO2) dans l’atmosphère et contribue à limiter l’effet de serre ».

Le décret n° 2005-1647 du 26 décembre 2005 prévoyait que le volume de bois incorporé dans la construction de maisons neuves ne pouvait être inférieur à 2 dm3/m2 de surface hors œuvre.

Cette disposition fut adoptée sur base de l’article L.224-1 du Code français de l’environnement, issu d’une loi du 30 décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie, permettant la prise de décrets gouvernementaux en vue de limiter les sources d’émission de substances polluantes nocives pour la santé humaine et l’environnement et de définir les spécifications techniques applicables à la construction (…) des biens immobiliers.

Avec le Grenelle de l’environnement et un décret n° 2010-273 du 15 mars 2010, furent augmentées considérablement les quantités de bois requises dans les nouveaux bâtiments .

C’est pourquoi le Syndicat français de l’industrie cimentière et la Fédération de l’industrie du béton – dont on imagine l’attachement à la cause environnementale… – décidèrent de défendre leur part du gâteau en attaquant devant le Conseil d’Etat ce décret du 15 mars 2010.

Ceci amena le Conseil d’Etat à poser une question prioritaire de constitutionnalité – nous dirions en Belgique une question préjudicielle – formulée dans les termes suivants :

« Les dispositions du dernier alinéa de l’article L.224-1 du Code de l’environnement, qui renvoient à un décret en Conseil d’Etat le soin de fixer les conditions dans lesquelles certaines constructions nouvelles doivent comporter une quantité minimale de matériaux en bois pour répondre aux objectifs d’économie et d’utilisation rationnelle de l’énergie sont-elles contraires aux droits et libertés que la Constitution garantit, en particulier, (…) l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? ».

Par un arrêt du 24 mai 2013, le Conseil constitutionnel déclarera les dispositions litigieuses contraires à la liberté d’entreprendre, issue de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Conseil d’État dans un arrêt n° 361.866 du 28 décembre 2013 annulera en conséquence le refus d’abroger le décret n° 2010-273 .

Les dispositions litigieuses visaient à répondre, selon le Conseil constitutionnel, aux objectifs de l’article L.220-1, objectifs du Code parmi lesquels la lutte contre l’effet de serre n’apparaît guère, puisqu’était seulement visés « la mise en œuvre du droit reconnu à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé » et de « prévenir, (…) surveiller, (…) réduire ou (…) supprimer les pollutions atmosphériques, (…) préserver la qualité de l’air et, à ces fins, (…) économiser et (…) utiliser rationnellement l’énergie ».

Si l’on comprend que le Conseil constitutionnel se soit borné à une analyse littérale de la base légale des dispositions invoquées dont le champ d’application est de lutter contre la pollution atmosphérique et de réduire la consommation d’énergie, il faut bien voir que suite au Grenelle de l’environnement, le but premier était devenu bien plus large : séquestrer du CO2 et lutter contre l’effet de serre, qui est une forme de pollution atmosphérique .

Or, il est difficilement admissible de considérer que cet objectif d’intérêt général vital ne devait pas prévaloir sur la liberté d’entreprendre. La Cour précise pourtant que le Code de l’environnement porte atteinte aux exigences découlant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, laquelle entrave ne serait cependant pas « justifiée par un motif d’intérêt général en lien direct avec l’objectif poursuivi » !

Il s’agit là d’un grand gâchis, d’une tour de Babel juridique où personne ne s’est compris : le Conseil constitutionnel n’a néanmoins guère fait d’effort pour saisir l’objectif capital que ce dispositif législatif et réglementaire sous-tendait, pourtant expressément explicité dans l’article 224-1 du Code de l’environnement, depuis 2008. Cela surprend le juriste belge dont la Cour constitutionnelle se montre très didactique pour mettre à la portée du plus grand nombre la justification de ses arrêts.

Certes, on croit pouvoir discerner, dans les raisons de la censure du Conseil constitutionnel, l’absence de bornes au pouvoir exécutif qui aurait pu imposer en quelques sorte le tout-en-bois, suite à ce blanc – seing législatif. Mais la matière est, on l’a vu, technique et se prête mal à un débat parlementaire. Une large habilitation donnée au Gouvernement semblait logique.

On peut se demander une fois encore, comme Madame Cohendet, si le Conseil constitutionnel est l’ennemi de l’environnement .

Restons toutefois modestes, puisqu’en Belgique, aucune disposition analogue n’a été adoptée et qu’aucune base légale idoine n’y a même été pensée, alors que la France a rebondi après ses avatars constitutionnels en insérant dans son nouveau Code forestier un article 121-1, 2°, énonçant que « l’État veille à l’optimisation du stockage du carbone dans les bois et forêts et les produits fabriqués à partir du bois ». S’agit-il d’une nouvelle base légale habilitant le Gouvernement à imposer l’usage du bois ? Gageons que la réponse pourrait être jurisprudentielle…

Alain LEBRUN,

Avocat du Barreau de Liège,

Spécialisé en Droit de l’urbanisme et de l’environnement.

 

 

1. Selon le site www.cecobois.com, 1 m³ de bois contient 0,9 T de CO2. Selon l’INRA, une hêtraie jeune stocke 2 à 4 T de CO2 à l’hectare mais selon Mariana Dehaza et Valentin Belassen, une futaie de noyers de 80 ans contiendrait 360 T de CO2 à l’hectare (« Valorisation de la filière-forêt-bois en France », Étude climat, avril 2010). On le voit, chaque situation est spécifique.

2. Pour les demandes de permis d’urbanisme (autorisation de construire) déposées après le 30 novembre 2011, il fallait au moins 35 dm3/m2 de surface hors œuvre pour un immeuble à usage d’habitation ne comportant pas plus de deux logements. Pour les bâtiments dont la charpente n’était pas majoritairement en bois ou sous charpente, seuls 10 dm3/m³ étaient requis.

3. Abrogé officiellement par un décret n° 2015-340 du 25 mars 2015. Il en découle la disparition pure et simple de ce dispositif dans l’ordre juridique (même l’exigence des 2 dm³/m² du décret du 26 décembre 2005 semble passer à la trappe).

4. Même si ce n’est que postérieurement au décret du 15 mars 2010 litigieux, que l’article L.220-1 du Code a vu son champ d’application, explicitement étendu à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre par l’article 179 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, la protection de l’atmosphère qu’il soutenait antérieurement à la loi du 12 juillet 2010 amenait déjà à une telle conclusion puisque selon l’art. 220-2, la pollution atmosphérique était « l’introduction par l’homme de substances (…) de nature à influer sur les changements climatiques (…)».

5.M.-A., Cohendet, « Le Droit répressif, quelles valeurs, quelles frontières », R.J.E., n° spéc. 2014, p.30.

6.Sous réserve éventuelle de règlements communaux d’urbanisme (RCU) dont il est impossible à l’auteur de la présente contribution de contrôler le contenu dans les 212 Communes wallonnes. Il n’existe par ailleurs pas en la matière de RRU (règlement régional d’urbanisme). Notons cependant que le recours au RCU et au RRU pour imposer une quantité minimale de bois dans l’habitat humain n’est a priori pas exclu par le C.W.A.T.U.P.e. (Code wallon de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme, du Patrimoine et de l’Energie), Code dont le champ d’application se préoccupe de rencontrer de manière durable les besoins environnementales de la collectivité par l’utilisation parcimonieuse du sol et de ses ressources et par la conservation du patrimoine naturel (art. 1er, al. 2). Ce Code permet, dans une lecture dynamique, de lutter contre le changement climatique : c’est un besoin collectif et il peut être rencontré par l’utilisation parcimonieuse des ressources du sol, au sens large, les arbres en faisant partie. L’utilisation parcimonieuse pourrait se comprendre comme l’utilisation maximale de l’arbre coupé, mais cette interprétation s’avère un peu tirée par les cheveux car il s’agit ici d’obliger à utiliser un type de ressource et non de la sauvegarder ! Quant à conserver le patrimoine naturel, ce peut être, selon nous, de réduire la modification de ce patrimoine naturel pour conserver un maximum d’espèces qui sont sensibles à l’effet de serre.

L’article 76 et 78, § 1er, de ce C.W.A.T.U.P.e. permettrait de fonder des règlements régionaux ou communaux d’urbanisme. Mais le seul objet légalement admis pour les RCU et RRU et qui se rapproche de la lutte contre l’effet de serre concerne la sécurité des logements contre les risques naturels prévisibles, parmi lesquels on trouve les inondations et glissements de terrains (art. 136). C’est de façon très indirecte que le comportement humain peut diminuer ce risque naturel induit par l’effet de serre. Une lecture très bienveillante s’imposerait donc à l’interprète pour intégrer la lutte contre les changements climatiques dans cette base légale et mieux vaudrait l’étendre expressément à cette hypothèse.

En tout état de cause, une maison n’est pas un produit au sens de l’expression « normes de produits » dont l’édiction appartient au législateur fédéral ; seul le législateur régional est compétent via ses compétences urbanistiques, environnementales et forestières régionales pour légiférer dans cette matière nouvelle.